Pourquoi l’observation faite depuis des siècles concernant le bien-fondé de la vocation des inventeurs dans notre société ne suscite-t-elle toujours pas l’unanimité des Sages afin qu'ils leur soient attribués un statut bien réel ?
La petite histoire
En 1979 au moment de rejoindre mon contingent militaire pour une durée d'un an, mon père me fit cadeau d'une petite calculatrice extra-plate, donnant la date et l'heure, mais aussi, capable de simuler l'injection d'une quantité déterminée de kérosène dans le réacteur d'une fusée pour réussir son atterrissage sur la lune sans la cracher au sol. Il n'y avait comme visuel qu'un petit écran LCD où tout se jouait avec des chiffres. Il m'apprit en même temps que grâce aux micro-processeurs, tout était possible.
En 1984, je soupçonnais déjà qu'il serait possible d'évoluer dans un environnement virtuel en 3 dimensions et qu'il me faudrait trouver le moyen mécanique de ressentir physiquement les évolutions libres d'un pilotage, pour tous les véhicules virtuels qui y seraient proposés.
En 1985, les progrès informatiques et l'apparition des premiers ordinateurs abordables avec leur lot de logiciels, dont les simulations telles que Flight Simulator4, Stellar7 ou Test Drive III me le confirma.
Ma première solution consistait à mettre à l'échelle une accélération bien réelle au moyen d'un petit véhicule roulant au sol sur un espace lisse, de 0 à 7 km/h avec celles produites dans l'environnement virtuel allant de 0 jusqu'à 200 km/h. Cela demandait beaucoup d'espace, ce n'était pas réalisable avec mes moyens.
Un jour arriva où, parlant de ce projet à mon coiffeur, j'appris qu'il existait, à Cap Canaveral, une attraction simulant le décollage d'une fusée en basculant ses passagers vers l'arrière. J'avais découvert ce jour là, la base avec laquelle je trouverai la cinématique idoine, qui imprimera sur le pilote des sensations physiques réalistes d'accélérations, puissantes, de longue durées, pouvant être spontanées, violentes, et sans effets parasites sur le pilote.
En 1992, je réalise, avec un ami, une maquette à l'échelle 1/6 d'une cinématique appropriée.
Certain de pouvoir bénéficier d'une aide de l'Etat, l'antenne de financement me mettant en garde de protéger mon idée, je dépose un brevet et me présente dans les bureaux de l'ANVAR.
Après l'examen de mon dossier, l'organisme de financement refuse de m'accorder son aide, soi-disant, l'invention relève plus d'une théorie scientifique que d'une application brevetable. Le brevet sera pourtant délivré par l'Office Européen des Brevets d'Allemagne la même année.
Sans attendre, voulant faire estimer le coût pour la R&D du projet, ou éventuellement vendre le projet, je pris rendez-vous avec un responsable du GIAT Industrie. Après quelques gesticulations et arguments prometteurs, la réponse fut que le projet coûterait plus de 30 millions de francs. Marmonnant in petto ma surprise, nous quittâmes les lieux, maquette sous le bras. Je compris au même instant que cela allait être un projet personnel.
En 1993, nous présentons la maquette du simulateur à la société Thomson à Cergy Pontoise, branche équipements aéronautiques division systèmes d'entrainement et de simulation. L'intérêt est certain mais nous ne recevrons pas d'aide de leur part non plus, une lettre encourageante du responsable du département Thomson-CSF nous sera tout de même envoyée.
Sans me décourager, afin de contester l'argument qui amena l'antenne de financement ANR à rejeter notre dossier, et afin de ratifier moi-même cette "théorie", je décide d'entamer la fabrication de la machine, conformément à une cinématique du brevet fraîchement déposé.
Juin 1995, la mécanique du simulateur réalisée dans la Sarthe puis livrée à Paris, fut assemblée dans l'arrière cour d'une imprimerie. Je fis appel à une société d'électronique industrielle qui arriva à point nommé pour me prêter les motorisations. Mon besoin était à présent d'asservir les moteurs afin de positionner la cabine de pilotage en relation au G gravitationnel par des inclinaisons. Ayant souvent travaillé avec une école de mécanique, je fis appel cette fois à une école d'ingénierie. Une programmation était nécessaire.
C'est par un élève de l'Ecole Sudria qu'elle sera écrite en Visual Basic; des potentiomètres de recopies, indiqueront à l'ordinateur la position de la cabine en degré d'inclinaison par rapport au curseur de la souris dans des axes XY. Les essais ne donneront pas satisfaction, la vitesse de transmission des données étant insuffisante. Une carte d'axes dite intelligente dotée de processeurs DSP sera nécessaire. Cette carte viendra se substituer à la solution analogique, devenue obsolète, potentiomètre analogique compris. Cette fois, elle servira de protocole entre les codeurs incrémentaux, équipant l'arrière des moteurs High-Tech et les vecteurs générés par un driver qui positionnera le curseur de la souris sur l'écran. Une solution préalable en anticipation aux vecteurs que le jeu lui-même fournira à la carte qu'elle synchronisera en temps réel grâce à l'ordinateur, avec les moteurs.
Pierre parviendra à positionner la mécanique de 700 kg en programmant tout cela en C++ et avec l'aide d'une pauvre souris.
Je me souviens que l'asservissement était si précis et la masse à déplacer si lourde que cela provoquait entre l'espace étroit des points de résolution du capteur de position, un antagonisme provoquant sur la charpente du simulateur, un son à la fois étrange et assourdissant, bridant la dynamique de celui-ci.
Pour y remédier, Pierre eut l'idée d'implémenter dans son programme, une formule mathématique incluant une décroissance exponentielle entre les points de départ et d'arrivée des positions axiales, divisant la vitesse de rotation des moteurs par la distance à parcourir selon les coordonnées programmées.
Il était enfin possible, de faire dialoguer n'importe quel logiciel de simulation de véhicule avec le SAG et Pierre fit aussitôt appel à son ami Simon, programmeur d'un logiciel de sa création nommée JUNE, une simulation de conduite automobile de type Dodge Viper, à travers une ville futuriste. Ce sera avec celui-ci que le simulateur sera connecté pour la première fois.
Quelle joie de voir le simulateur s'animer en temps réel dans une simulation de conduite automobile précise et au graphisme étonnant que produisait la carte graphique révolutionnaire 3dfx qui équipait par bonheur mon vieil ordinateur.
Motivé, je me représente dans les bureaux de l'ANVAR, le refus n'attendra pas et proviendra cette fois du manque d'intérêt des industriels. Quelque semaines plus tard, les pièces en main, je retourne à l'antenne avec mon épouse et un ami. Le refus cette fois, sera appuyé par une coupure de journal, mentionnant une étude sur le danger potentiel des consoles de jeux qu'elles pourraient occasionner et l'argument du marché trop petit que présentait le secteur du jeux vidéo. Mais bien sûr, ça, c'était avant.
De retour sous mes nuages grisonnants je me retrouvai, suite à ce nouvel échec, avec un brevet à entretenir chaque année, un prototype inexploitable et de nouvelles idées à trouver pour avancer. Je ne voyais rien d'autre à faire que des démonstrations.
Relisant la lettre que m'avait envoyée Thomson, je fis venir à son tour un des spécialistes rencontré quelques mois plus tôt chez eux. Mon égo s'en trouva remonté lors qu'il annonça, accompagné d'une tape de sa main sur le coin du simulateur "Ça, chez nous, c’est 15 millions de francs," je lui répondis avec le sourire," chez moi, c'est 20 000 francs.
Ce RV m'encouragea à m'atteler au chapitre suivant et je fis appel au journaliste d'une revue financière, Le Revenu, qui écrivit un article à ce sujet. Cela donnera suite à un énorme nouveau chapitre.
Cette expérience de plus de trente ans, mêlant erreurs, impairs et prototypes, m'aura permis d'élaborer une cinématique, aux performances et coût inégalable. Comme un ami de l'école des Arts et Métiers me l'avait expliqué, soit l'accomplissement d'un projet n'aboutit rapidement que grâce à une somme considérable investie au départ, soit il aboutira tardivement grâce au temps et au travail qui y sera consacrés. Cela justifiera pour moi, les 30 Millions de francs évalués par le GIAT.
Je remercie les quelques amis qui m'auront permis d'arriver à ce stade.